LE CIEL ÉTAIT TROP NUAGEUX POUR VOIR LES ÉTOILES
Bastien Mignot



Dans le cadre de la cinquième édition du Printemps des Laboratoires, portant cette année sur le thème d'Extra Sensory Perception, le 28 avril au soir, deux jours après la nouvelle lune, Bastien Mignot nous conviera à passer un temps dans la forêt de sa pièce à venir Un regard suffit à rayer l'invisible. Une pièce pour pierres, humains, animaux, forêts et théâtres qui dépliera le motif du noir dans un rêve d’obscur.

La performance Le ciel était trop nuageux pour voir les étoiles est imaginée comme un acte de divination collectif. Elle contiendra des fragments de ce qui se fera jour dans la future forme. Ensembles, axes, directions, points, lignes, écarts, manques : autant de facettes dont est fait le pelage épais des agencements à venir.
De l’intime s’offrant dans un espace d’exposition multiplié, où les entités invisibles ne seront pas exemptes d’adresses ni de soins. Un espace qui ne cesserait d’arriver et où s’exposeraient, vulnérables, des présences, des matières, des images, des éléments, des objets, des figures. Nous invitant à être, à l’instar des images passantes, les passants crépusculaires du labyrinthe


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Je me souviens de l’expérience que tu nous as proposée comme d’un voyage hors sol, hypnotique, m’en reste des images fragmentées et des sensations, le battement de tes talons qui remplissait à un moment tout l’espace, guide et annonciateur d’on ne savait quoi, de toute façon il n’était plus l’heure de pointer un objet mais de suivre une présence. Au bruit de tes talons donc, on passait un pacte, celui de tendre nos attentions vers ta figure spectrale, archaïque, christique, arbre flottant aux contours indistincts, dont on ne savait pas toujours comment elle parvenait à avancer, à passer d’un lieu à un autre, mécanique keatonnienne quand elle apparaissait aux bords de l’espace de représentation (l’homme frontière derrière le rideau) qu’elle glissait une main ou trempait une jambe parmi les hommes comme dans un panneau passe tête d’une foire. C’était paradoxalement doux et inquiétant, et quand tu traversais la foule muni d’un miroir à la découpe tranchante, on se souvenait qu’il ne pouvait rien nous arriver puisque l’on rêvait.

La plongée dans le noir et dans le silence a été progressive. Le temps s’est étiré doucement, fondant dans le fondu d’images. Tu es apparu immense et fantomatique, puis tu t’es désintégré pour t’éclater dans l’espace. C’était assez lent et puissant pour que chacun ait le temps d’y projeter ses propres figures et réflexes symboliques. Assez aussi pour que ce qui était de l’ordre de l’attente au début (de la prochaine apparition, du prochain geste, avec ce que ça contient de ludique et d’enfantin d’attendre une surprise), se transforme en une situation de plongée, où à l’ennui (il est si difficile d’accepter le vide et de l’habiter) s’adjoint une forme méditative. Mais une méditation collective. Dans nos têtes nous n’étions pas seul, et dans le noir des sentiments, des états et des réactions imperceptibles se faisaient ressentir. Le sentiment d’être plusieurs à découvrir une situation nouvelle, à se demander comment son voisin la reçoit, à quel moment lui aussi il lâchera et si son battement intérieur se calera sur le votre. Ta présence démultipliée et morcelée finissait par devenir une chose dont on ne sait pas où elle commence et où elle finit. Le silence, tenu dans le temps, dilate encore davantage nos manières de penser et de percevoir. Comment il est délicat, une fois installé, de l’interrompre ce silence. Et pourtant, le retour à la parole, qui passe d’abord par le chuchotement du rouleau d’écriture (une prière) jusqu’à l’incantation finale que tu récites, animal, le corps ramassé au sol est si justement amenée.


J’ajouterai que le retournement final, de la scène et du public, est très forte, la tombée du rideau et toi assis dans les gradins, on devient la vision que tu contiens, ton spectacle intérieur. C’est très cinématographique et raccorde avec certaines images de la projection du début. On est comme entrainé dans un processus de déréalisation, en même temps face à ta posture raide et statique, qui fout les ch’tons faut bien l’avouer, mais ça les fout aussi parce que tu apparais à ce moment là immense dans ta solitude, et que le face à face renvoie comme en miroir à notre propre solitude (d’ailleurs je me rends compte en t’écrivant combien ces effets de miroir, de double face, de retournement structure l’ensemble). Il y a ce quelque chose entre l’individu et le collectif qui est interrogé et bouge pendant la pièce... 

Mathilde Villeneuve