Texte de présentation du disque :
(FR - english below)
D’après Wikipédia « les Caprimugidae, ou Caprimulgidés en français sont une famille d’oiseaux constituée d’environ 95 espèces existantes d’engoulevents ». On fouille un peu et on apprend dans le journal Libération que « le mot caprimulgidé vient du latin caprimulgus, littéralement « suceur de chèvre ». Dans sa fameuse Histoire Naturelle, Buffon nous informe que « jadis les paysans croyaient que l’engoulevent, oiseau du crépuscule, pénétrait dans les étables à la nuit tombée pour sucer le pis des bêtes ».
L’engoulevent, primitivement, est un donc un oiseau, transformé par la croyance populaire en suceur de chèvres.
Clément Vercelletto, c’est dans Kaumwald que nous l’avons découvert, poussant avec Ernest Bergez musique de club, avant-garde et rumeurs folk imaginaires comme autant de grands cerceaux d’enfants gondolés ou bien servant d’accélérateur de particules aux chansons vernaculaires d’Estrémadure collectées par Marion Cousin. Depuis quelque temps on le reconnaît, entre autres, sous le nom de Sarah Terral en prise sauvage avec les synthés modulaires parmi les plus abrasifs, poétiques, lunatiques qu’on ait entendus depuis lurette. Depuis peu, il joue de la cornemuse (il ressemble à quelque chose comme un oiseau ténébreux soufflant dans une chèvre, si ça vous rappelle quelque chose).
L’Engoulevent est le premier disque à paraître sous son nom civil.
Entièrement composé sur un petit orgue électronique à la fois pas mal brut et relativement complexe et dont les tuyaux ont été remplacés par des appeaux contrôlés via une interface MIDI (imaginé par le musicien puis fabriqué, réalisé par le luthier Léo Maurel), il a été enregistré dans trois lieux différents aux acoustiques contraires (d’un studio ultra-mat à « d’anciens silos à vin avec vingt secondes de résonance ».
De tout ce disparate naît pourtant une œuvre parfaitement cohérente, qu’on pourrait dire de musique contemporaine, mais que son auteur, plus géographe qu’historien, appelle « paysagère », serpentant agilement d’une composition à l’autre (six en tout) évoquant tout ensemble techno naine à bas pouls, musique trad des confins écoutée la tête sous l’eau, field-recording d’un territoire pour moitié inventé, théâtre pour l’oreille.
Vercelletto convoque ensemble, par la grâce des titres et des matières, parades animales (cui-cui) et propriétés minérales (La tourmaline), délinquance végétale (Le cœur pourri du taro, La grande berce), criques sableuses, pointes rocheuses et marais modestes (Hoëdic long). Tout en cliquetis, bruits de touches et pépiements de valves, polyrythmies sourdes, soupirs électroniques et haleines fantômes, L’engoulevent donne à entendre la musique forcément inquiète, forcément féérique, de tout un tissu vivant et hypersensible : le nôtre.
Florian Caschera
(EN)
According to Wikipedia “Caprimulgidae are a family of birds consisting of around 95 extant species of nightjars." Digging a little deeper, we learn from Libération that "the word caprimulgidae comes from the Latin caprimulgus, literally meaning 'goat sucker.' In his famous Natural History, Buffon tells us that “peasants used to believe that the nightjar, a bird of twilight, entered barns at nightfall to suckle milk from livestock.”
Originally, the nightjar was simply a bird, later transformed by popular belief into a "goat sucker."
Clément Vercelletto was first encountered in Kaumwald, where he and Ernest Bergez blended club music, avant-garde, and imagined folk rumors like warped children’s hoops—or served as a particle accelerator for vernacular songs from Extremadura collected by Marion Cousin. Recently, he’s been known, among other guises, as Sarah Terral, wrestling wildly with modular synths that rank among the most abrasive, poetic, and mercurial we’ve heard in ages. More recently, he has taken up the bagpipes (he resembles something of a dark bird blowing into a goat, if that rings any bells).
L’Engoulevent is the first record to appear under his real name.
Entirely composed on a small electronic organ—both rudimentary and surprisingly complex—whose pipes have been replaced by bird calls controlled via a MIDI interface (designed by the musician and built by luthier Léo Maurel), the album was recorded in three acoustically contrasting locations: from an ultra-dry studio to "former wine silos with a twenty-second resonance."
Yet from this disparate palette emerges a perfectly coherent work, which might be described as contemporary music. However, its creator, more geographer than historian, calls it "landscape music." It weaves nimbly from one composition to the next (six in total), conjuring visions of low-pulse dwarf techno, submerged folk music from distant lands, field recordings of a half-imaginary territory, theater for the ear.
Vercelletto summons, through the titles and materials, an ensemble of animal displays (cui-cui), mineral properties (Tourmaline), vegetal delinquency (Le cœur pourri du taro, La grande berce), sandy coves, rocky headlands, and humble marshes (Hoëdic Long). Full of clattering, key clicks, valve chirps, muffled polyrhythms, electronic sighs, and ghostly breaths, L’Engoulevent offers a music that is at once anxious and enchanted, capturing the sound of a vibrant, hypersensitive living fabric—our own.
Florian Caschera